COPIAGE ET RAFISTOLAGE | Marcos Hill

Notre condition temporelle inexorable nous pousse parfois à exagérer la dose de sérieux nécessaire pour affronter le monde. Mais devant l’éphémère de l’existence, l’homme peut réagir de façon inespérée; j’aime me rappeler l’histoire du scribe égyptien qui, dressant la liste des avoirs du pharaon, notant le nombre de pur-sang et de lapis-lazuli possédés par son suzerain, inventa un jour un cheval bleu, matérialisant ainsi son désir d’allégresse et immortalisant par ses notes une possibilité de poésie toujours et partout présente.

Le travail de Julio Villani fait vibrer en moi l’écho de cette histoire. Depuis toujours — dès qu’il a choisi la peinture comme son langage premier—, il a défini des stratégies  guidant sa relation avec le monde extérieur, riches d’inventivité et du plaisir de jouer.

Villani affirme que la peinture est son pays plus encore que son langage. Son exploration d’autres techniques — dessin, sculpture, gravure, collage, photographie, vidéo — est autant une façon de relativiser la rigidité des règles traditionnelles de la peinture qu’un moyen d’incorporer le fragile équilibre que cette technique exige.

Ses jeux intellectuels sont traversés par les influences de la musique populaire brésilienne des années 70.  Sur fond de dictature militaire et d’émergence d’une identité “tropicale”, les chansons de Caetano Veloso, Chico Buarque et Gilberto Gil ont fait office d’éducateur sexuel, politique et existentiel à toute une génération — la sienne, la mienne — située entre l’apparition des anticonceptionnels et celle du SIDA, et qui tient le ludique comme alternative de restructuration métaphorique de situations graves et souvent urgentes.

Dans cette manne poétique, Villani trouve les ressources qui caractérisent sa production picturale. Changer la fonction des objets, dribbler l’ordre des choses, jouer avec mots et images jusqu’à propulser l’ambiguïté au rang de moyen de communication. Relativisant le réel et ses limites fluides, l’artiste tient l’humour et l’ironie comme options intéressantes pour exprimer le monde à travers ses innombrables résidus imagés.

Roberto Pontual aimait à associer la géométrie jamais pure de Villani à la chaleur organique de Torres Garcia. Ses “histoires de carrés prêts à s’envoler” présentent, selon le critique brésilien, plus de liens avec les carrés “mythiquement transaméricains” de l’uruguayen qu’avec ceux de Lissitzky. Philippe Dagen parle  d’un “minimalisme poétique” lorsqu’il se réfère à l’âme géométrique de cette partie de l’œuvre de Villani.

Finalement, son langage hybride — aussi varié en préoccupation qu’en forme — démontre une passion latente pour les images, qu’elles appartiennent à la culture de masse ou aux annales de l’historie de l’art.

Dans sa série des Venus (1996) par exemple, des fragments de poupées en plastique sont déplacés — et détournés — vers un contexte culturel. En résulte des objets au sens double et à la lecture politique, économique et drolatique, qui contaminent ironiquement les lieux du savoir dit adulte.

D’une Résidence d’artiste en Dordogne en 1999, Villani a ramené une canne : Magdaleine (du nom de la période pré-historique richement présente dans la région) est, selon lui, une rescapée de l’industrie agro-alimentaire, qui n’utilise que les cannetons mâles dans la production du foie gras.

Avec cette adoption, il a fait un pas de plus dans la direction des jeux sérieux qui mêlent l’intérêt qu’il porte à l’art à ce qu’il ingère ou respire, ces “enfantillages” comme il les appelle, qui acceptent mal la distinction entre art et vie.

C’est ce que l’on perçoit dans Complexe du perroquet (2001). Le gris du Gabon protagoniste de cette vidéo fait également partie de son quotidien et Villani s’approprie les jeux de l’oiseau pour parler des siens propres. La destruction graduelle des reproductions de la Joconde, de l’Abapuru (œuvre de Tarsila do Amaral) ou d’un portrait de Picasso par le perroquet soulève doucement des questions relatives au temps, aux images et à leur reproductibilité, à l’auteur et à l’authenticité, à la mémoire ou à son absence… Entre comique et afflictif, émergent des images des points aveugles qui attisent la pensée critique.

Ses sabotages poétiques trouvent une suite logique dans ses Recyclages de cartons d’invitation et matériel de communication de centre d’arts, musées et galeries. Mettant en oeuvre la répétition et la diversité de ce matériel, l’artiste explore les images du monde de l’art et en propose une relecture entre  le caractère jetable des imprimés et la pérennité de la peinture à huile.

Pour lui, les appels multimédia répétés qui caractérisent l’excès et la banalisation de l’offre en milieu urbain doivent faire partie de ses investigations expressives. Ainsi, l’image multipliée devient à la fois support et référence sensorielle.

Ce qu’il en reste dans le souvenir du spectateur est un agréable goût de jeux, fait de lucidité et d’ art entremêlés.