
TABLEAU NOIR | Guilherme Wisnik
Des croquis colorés de troncs et de branches d’arbres, ou des figures géométriques pures disposées en équilibre instable ? Il y a un clair esprit d’ambiguité dans les œuvres présentées ici par Julio Villani. Quelque chose qui oscille non seulement entre abstraction et naturalisme, mais aussi, par exemple, entre le visuel et le verbal. Car l’artiste accorde une grande importance aux titres de ses œuvres, et invite ses amis à potentialiser ces significations sémantiques, en leur demandant d’écrire des phrases à partir de l’association de mots, aveuglément, en l’absence d’images, et intègre ces textes à l’exposition. Le principe surréaliste du jeu, du cadavre exquis, prévaut ici : des figures (graphiques ou textuelles) assemblées collectivement, et un tantinet au hasard, car l’ordre palpite aussi dans le hasard – objectif ou subjectif. Une sorte d’ordre à rebours.
Né à l’intérieur de terres de l’État São Paulo, depuis quatre décennies Julio vit une grande partie de l’année en France. Bricoleur, il assemble des sculptures à partir d’objets trouvées. Des engins étranges et familiers qu’il nomme, avec une tendre ironie, Almost readymade. Ce goût intelligent pour l’appropriation apparaît ici dans les collages réalisés sur des manuscrits, pour la plupart des documents notariaux du XIXe siècle. Dans ce cas, le champ verbal est l’arrière-plan de la composition, dans une calligraphie élaborée et des motifs qui constituent une toile de fond sur laquelle s’installent en contraste les figures colorées, imbibées de peinture à l’huile, d’acrylique ou dessinées au crayon. Contrairement aux collages cubistes de Braque et Picasso, qui escamotaient des journaux dans la peinture, les peintures envahissent ici le champ graphique et textuel du document ancien, créant un ordre superposé qui transforme le fond calligraphique en bruit.
Dans les peintures, réalisées avec acrylique, fusain et kaolin sur toile, dans des plus grands formats, prédominent les expériences de structuration de l’espace, avec des prismes évidés et transparents. Intitulés Collapsible architectures par l’artiste, elles présentent des espaces organisés par des lignes fragiles et des champs de couleurs qui nous font imaginer des constructions temporaires, instables, éphémères. Et si la clarté des plans géométriques fait référence à l’idéalité du Suprématisme, leurs couleurs plus tonales, avec des coups de pinceau en bandes bien marquées, semblables à celles de la tempera de Volpi, confèrent à ces peintures une dimension réfléchie, fine et artisanale, plus proche du contexte brésilien.
Cette volonté de structuration vacillante, qui n’organise que des ordres provisoires et imprécis, trouve sa traduction la plus parfaite dans le « tableau noir ». Là, dans le contraste soudain entre le clair et l’obscur, tout peut se superposer, en même temps qu’il tend à disparaître. L’accumulation, l’effacement et la soumission d’un ordre à un autre établissent un terrain de jeu permanent dans lequel Villani se sent chez lui.
Les scènes de feux de forêt présentes dans ses collages, accentuant l’idée d’une « nature acculée » – l’un de ses titres –, font écho aux temps sombres et récents de non-gouvernement du pays, au cours desquels ces œuvres ont été réalisées. Cependant, dans le contexte artistique de ce grand Tableau noir de Julio Villani, les difficultés sont rédimées par l’idée d’un nouveau départ toujours possible. Non pas comme une tabula rasa, à partir de zéro, mais comme des esquisses patientes d’une structuration qui chercherait encore et toujours sa meilleure forme. Une structure dans laquelle nature et géométrie ne s’opposent pas. Et l’envie de forme constructive opère, par hasard, à partir du jeu.